Un avenir prometteur
Un avenir prometteur : un Canada prospère et à faibles émissions de carbone
**Un avenir prometteur**
**Un Canada prospère
et à faibles émissions de carbone**
Le Canada doit jouer un rôle dans la lutte contre les changements climatiques en réduisant les émissions de carbone afin d’atteindre les objectifs fixés dans l’Accord de Paris, et de concrétiser ses aspirations de carboneutralité en 2050.
La plupart des Canadiens y sont favorables, alors que des phénomènes météorologiques extrêmes les ont sensibilisés aux effets potentiellement néfastes découlant des changements climatiques. Les marchés financiers manifestent de plus en plus leur intention d’affecter des fonds aux secteurs et aux activités qui présentent des niveaux d’émissions plus faibles. Les organismes de réglementation des systèmes financiers commencent à exiger que les banques et les assureurs communiquent leur exposition directe et indirecte aux risques climatiques, ce qui pourrait modifier le financement au pays. Les facteurs liés à l’environnement, à la responsabilité sociale et à la gouvernance (ESG) font de plus en plus partie intégrante des décisions de consommation, d’affaires et politiques. Tout cela encourage vivement les entreprises canadiennes – particulièrement dans les secteurs dont les émissions sont élevées, comme celui du pétrole et du gaz – à planifier la façon dont elles freineront la production de carbone et contribueront à la réalisation des objectifs fixés par le gouvernement.
Ne vous méprenez pas : l’atteinte des cibles d’émissions nécessitera une importante transformation de notre économie. L’éventuelle incapacité du système financier canadien à assumer le coût de la transition vers un avenir à faible intensité de carbone est une préoccupation courante. Or, le fruit de notre travail démontre que, grâce à la bonne combinaison de politiques et d’investissements, notre économie continuera de croître à un rythme à peine inférieur. Pour assurer la transition vers une économie à faibles émissions de carbone, il faudra maximiser l’utilisation des technologies et les investissements. Le report des mesures n’aura probablement pour effet que d’augmenter les coûts de transition et d’atténuer les gains qui pourraient conférer au Canada une position de chef de file de ce virage écologique. Une solide orientation, l’appui du public, des mesures audacieuses, des investissements considérables et une importante collaboration entre les secteurs public et privé seront nécessaires pour nous permettre de tirer le maximum de l’occasion qui s’offre à nous.
Grâce à la bonne combinaison de politiques et d’investissements, notre économie continuera de croître à un rythme à peine inférieur
Le plan de tarification du carbone du gouvernement fédéral sera essentiel à l’adoption de changements efficients sur le plan économique. Une partie de ces revenus devrait revenir aux consommateurs, ce qui assurera l’appui du public; mais une part plus importante devra probablement être attribuée aux entreprises et aux investissements verts pour accélérer l’adoption de technologies propres. Si les revenus générés par la tarification du carbone sont réinjectés dans l’économie – et plus particulièrement canalisés vers les investissements – les coûts associés à la transition vers un avenir sobre en carbone peuvent être réduits au minimum. En effet, une modélisation effectuée par l’équipe d’économistes de Deloitte à l’aide de son modèle d’équilibre général démontre que d’ici 2030, la croissance économique canadienne ne reculera que d’environ 0,1 point de pourcentage par année.
Le Canada doit suivre un régime faible en carbone
L’un des principaux problèmes, c’est que l’actuel débat public au sujet des changements climatiques est axé sur la transition vers un avenir à faible intensité de carbone plutôt que sur la réalité future et ses retombées. Voici une analogie intéressante : personne n’aime suivre un régime, car on ne peut pas manger ce qu’on veut, on manque de volonté, etc. Pour cette raison, la perception des régimes est négative, mais le résultat final peut être un corps plus sain et résilient. Ainsi, le Canada doit suivre un régime faible en carbone.
Dans un avenir carboneutre, l’économie du pays s’annonce prospère. Depuis un demi-siècle, un virage important de la fabrication et l’extraction vers les services s’est amorcé; au cours du prochain demi-siècle, la composition sectorielle de l’économie continuera d’évoluer, alors que les secteurs à faibles émissions de carbone seront florissants. Le but de cette étude était de regarder au-delà de 2030 pour déterminer ce à quoi pourrait ressembler cet avenir. À cette fin, nous nous sommes fiés aux résultats de deux autres modèles pour établir d’abord les technologies qui nous aideront à atteindre la carboneutralité et, ensuite, ce à quoi ressemblera l’économie du Canada tandis que nous passons à l’étape de réduction dramatique des émissions après 2030.
Bien entendu, ce parcours sera tortueux et semé d’embûches. Malheureusement, il y aura sans doute des coûts associés au délaissement d’actifs, ce qui, dans le jargon économique, signifie qu’on remplacera du capital toujours productif par de nouveaux investissements qui génèrent moins d’émissions. Et les investissements requis pour atteindre la carboneutralité sont importants, soit entre 5 et 6 % de l’économie; aussi, nous devons commencer à réfléchir aux moyens et aux sources de financement de ces investissements. Mais il est également possible que ces nouvelles technologies et ces nouveaux investissements entraînent leurs propres innovations, qui amélioreront à leur tour la productivité.
Nous pouvons devenir un chef de file dans des domaines des technologies propres comme le captage et le stockage d’hydrogène et de carbone
Les coûts d’adaptation s’atténueront avec le temps et la transformation qui en découle créera d’importantes occasions pour le Canada : nous pouvons devenir un chef de file dans des domaines des technologies propres comme le captage et le stockage d’hydrogène et de carbone. Le secteur national du pétrole et du gaz peut être respectueux de l’environnement. Nous aurons un secteur d’énergie verte de premier plan. Le Canada sera en mesure d’exporter ses nouvelles technologies écologiques durables, ses services techniques et son savoir-faire à l’échelle mondiale. Le pays sera doté d’une infrastructure résistante aux phénomènes climatiques. Nous serons une option attrayante pour les talents et le financement internationaux. Tous ces avantages viendront appuyer la croissance économique soutenue du Canada et, du coup, l’amélioration du niveau de vie d’un océan à l’autre.
Il est maintenant temps d’unir nos forces et de déterminer comment nous réaliserons cet objectif global en tant que pays.
L’idée de poser des gestes pour ralentir le réchauffement de la planète et lutter contre les répercussions négatives des changements climatiques n’est pas nouvelle. Cependant, malgré les efforts déployés à ce jour, le Canada n’a pas été en mesure de réduire de manière significative ses émissions de gaz à effet de serre (EGS). En effet, les niveaux d’émissions en 2019 et en 2006 sont demeurés inchangés1.
Notre but est de donner aux entreprises, aux politiciens et aux ménages une idée claire des occasions, des défis et des retombées économiques de la transition vers un avenir à faible intensité de carbone
Avec la hausse des écarts extrêmes de température et des phénomènes météorologiques violents, le moment est venu de prendre des mesures plus efficaces. Dans la présente étude, nous expliquons les raisons pour lesquelles le Canada doit faire sa part pour réduire les émissions; les circonstances uniques auxquelles nous faisons face et qui nous mettent des bâtons dans les roues; les conséquences que la tarification du carbone aura sur les émissions et notre économie; le rôle des technologies dans l’atteinte de nos objectifs de réduction des émissions; et ce à quoi ressemblera l’économie dans un monde carboneutre. Notre but est de donner aux entreprises, aux politiciens et aux ménages une idée claire des occasions, des défis et des retombées économiques de la transition vers un avenir à faible intensité de carbone, et de susciter des échanges sur les façons dont nous pouvons, en tant que société, concrétiser cet avenir.
Un avenir à plus faible intensité de carbone nécessite des mesures immédiates
Le 12 décembre 2015, le Canada et 194 autres pays ont conclu l’Accord de Paris, un traité qui limite la hausse des températures moyennes de la planète au cours de ce siècle à moins de 2 °C, idéalement à moins de 1,5 °C.
En vue de contribuer à la réalisation de cet objectif, le Canada s’est engagé à mettre en place une économie carboneutre d’ici 2050, et a officialisé cet engagement en adoptant la Loi canadienne sur la responsabilité en matière de carboneutralité, ainsi qu’une série d’objectifs provisoires de réduction des émissions2. Par ailleurs, le premier ministre Justin Trudeau a annoncé au Sommet des dirigeants sur le climat de 2021 que le Canada compte faire en sorte que ses émissions soient de 40 à 45 % inférieures aux niveaux de 2005 d’ici 2030, une réduction plus ambitieuse que celle de 30 % à laquelle le pays s’était engagé dans le cadre de l’Accord de Paris.
La plupart des Canadiens comprennent que les variations de la température mondiale, tout comme les phénomènes météorologiques extrêmes et plus fréquents, posent des risques importants pour notre mode de vie. Les partis politiques l’admettent aussi; c’est pourquoi, dans leur programme, tous les partis fédéraux se sont engagés à contrer les changements climatiques. Les coûts économiques associés à la transition vers un avenir à faibles émissions sont aussi largement reconnus; quoi qu’il en soit, l’opinion publique est souvent axée sur le compromis entre l’environnement et l’économie. Mais il s’agit d’un faux débat : si des décisions politiques et d’affaires judicieuses sont prises, nous pouvons atteindre nos objectifs de réduction des émissions tout en réduisant les coûts.
Il y a quatre principales raisons économiques pour lesquelles il faut agir maintenant, en prenant des mesures ambitieuses, audacieuses et concertées, afin d’atteindre l’objectif de carboneutralité du Canada :
- Reconnaître que tous les pays font front commun. Tandis que ses pairs internationaux et ses partenaires commerciaux accélèrent leur parcours vers la décarbonation, le Canada doit aussi investir dans l’atténuation des émissions et la progression des secteurs verts afin de soutenir la croissance économique et de rehausser les niveaux de vie. Des stratégies de réduction des émissions seront bientôt requises pour attirer des capitaux internationaux, alors que les fonds mondiaux misent de plus en plus sur les stratégies liées à l’environnement, à la responsabilité sociale et à la gouvernance (ESG) dans leurs priorités d’investissement. De nombreux gestionnaires de caisses de retraite et d’actifs, dont les plus grands gestionnaires du monde tels que BlackRock et Vanguard, ont déclaré publiquement qu’ils publieront la proportion de la répartition de leurs actifs qui est alignée sur la neutralité carbone et exerceront une surveillance accrue des investissements dans les secteurs à fortes émissions de carbone3. Les gouvernements tiennent également compte des facteurs ESG lorsqu’ils prennent des décisions. L’annulation par le président Biden du projet d’oléoduc Keystone XL qui, bien sûr, a eu des répercussions économiques sur le Canada, en est un exemple très médiatisé.
- Saisir l’occasion de mener la transition énergétique mondiale. Alors que l’économie mondiale cherche à réduire considérablement les émissions de GES, le Canada a une occasion unique de tabler sur sa longue tradition au sein du secteur énergétique et d’accélérer le virage vers les faibles émissions et l’énergie propre. Si nous agissons plus rapidement que les autres pays afin de créer un avenir à faibles émissions, nous pourrons saisir d’éventuelles occasions économiques en tirant parti des connaissances, des technologies, des produits et des services qui en découlent. Parmi les possibilités à considérer, citons l’exportation d’hydrogène et la hausse des exportations de gaz naturel liquéfié (GNL), qui pourraient toutes deux réduire les émissions de carbone à l’échelle mondiale. Il existe aussi un potentiel d’accroître la prestation de services techniques professionnels à mesure que nous acquérons de l’expertise dans différents domaines, y compris le captage et le stockage de carbone.
- Assurer la prospérité économique. La tarification du carbone, la réglementation environnementale et les investissements importants dans les technologies et les infrastructures peuvent réduire les émissions, tout en limitant les coûts de transition. La modélisation effectuée par la Commission de l’écofiscalité du Canada, le Conference Board du Canada et Deloitte démontre que le pays peut se diriger vers un avenir à faibles émissions de carbone et maintenir sa croissance économique dans l’ensemble des régions, dans la mesure où les régions touchées bénéficient d’un soutien adéquat durant les périodes de transition. Et comme il a été indiqué précédemment, l’accélération des progrès est essentielle à la prospérité économique, puisque les coûts augmentent lorsque les progrès sont retardés.
- Gérer les risques plus tôt pour réduire les coûts futurs. La pandémie de COVID-19 nous a rappelé l’importance d’une planification prudente et de l’atténuation des risques. Selon le Global Preparedness Monitoring Board (GPMB), un organisme indépendant dont le mandat est d’assurer la préparation aux crises sanitaires mondiales, « Il faudrait 500 ans pour investir autant dans la préparation que l’équivalent des pertes mondiales attribuables à la COVID-19. » D’après son rapport intitulé A world in disaster, le coût estimatif de la préparation à la pandémie aurait été de 5 $ par personne, ou environ 39 milliards de dollars à l’échelle mondiale. La réalité, c’est que la perte de production économique dans le monde jusqu’à présent s’élève à 11 billions de dollars.
La crise qui continue de sévir a des effets économiques et sociaux dévastateurs, mais les leçons apprises offrent l’occasion d’accélérer les investissements verts. Les pays du monde financent l’infrastructure verte pour tenter de stimuler la croissance économique post-COVID-19, dont 9,2 milliards de dollars dans le plan Investir au Canada, 1 billion d’euros (1,5 billion de dollars CA) dans le Pacte vert de l’Union européenne4, et la somme de 2 billions de dollars US (2,5 billions de dollars CA) que le président américain Joe Biden propose de consacrer à un projet de loi sur l’emploi, les infrastructures et l’énergie verte5.
Le défi de réduire les émissions au Canada
Deux principaux obstacles nuisent à la réduction significative des émissions de carbone : les facteurs sous-jacents qui contribuent aux émissions et les coûts de transition vraisemblablement inégaux d’une région à l’autre.
Les facteurs sous-jacents comprennent les régions où le climat est froid (le Canada doit consacrer plus d’énergie au chauffage que les régions où le climat est tempéré), les vastes territoires et les populations croissantes (où il faut consacrer plus d’énergie au transport dans des infrastructures dispersées), une économie industrialisée (la source de nos émissions) et d’importantes richesses naturelles qui soutiennent de grands secteurs de produits de base (l’extraction entraîne souvent de fortes émissions de carbone). Ces facteurs se reflètent dans le profil d’émissions de GES du Canada (données datant de 2019 – voir la figure 1) :
- Le secteur pétrolier et gazier constitue la plus importante source d’émissions de GES au Canada, et représente 26,2 % du total du pays.
- Le secteur du transport est la deuxième source en importance, soit 25,4 % du total des émissions. Cela reflète le transport de marchandises et le transport de passagers, ce dernier affichant des émissions à la hausse en raison de la croissance de la population et de la transition des voitures aux camions légers (y compris les camionnettes et les VUS).
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Les bâtiments occupent le troisième rang, représentant 12,4 % des émissions de GES. Cette croissance est attribuable à la transition vers une économie axée sur les services, qui augmente le besoin de locaux à bureaux; parallèlement, les émissions provenant d’immeubles résidentiels ont quelque peu diminué, malgré la forte croissance de la population.
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Les industries lourdes sont responsables de 10,6 % des émissions, ce qui reflète la production dans des domaines tels que la fabrication et le traitement.
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Le secteur agricole représente 10 % des émissions, ce qui a à peine changé par rapport à 2000, alors que le recul des émissions attribuables à la production animale est compensé par la hausse des émissions liées à la culture.
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Le secteur de l’électricité est responsable de 8,4 % du total des émissions produites au pays. Même s’il s’agit d’un excellent exemple de réductions significatives – soit une baisse de 53 % des émissions de 2000 à 2019 en raison des progrès réalisés en décarbonation dans le secteur de l’énergie – il reste du travail à faire.
Le deuxième grand obstacle à la réduction des émissions est la volonté d’assurer que les coûts connexes sont répartis de façon équitable d’un bout à l’autre du pays. Les provinces ayant une plus grande dépendance aux secteurs très polluants pourraient faire face à des coûts de transition plus élevés. Voici un exemple concret : le secteur de l’énergie est concentré en Alberta, en Saskatchewan et à Terre-Neuve-et-Labrador. Les émissions de GES produites par les ménages varient également au Canada, en raison de divers facteurs tels que les densités démographiques, les températures moyennes, puis la taille et le revenu des familles. Néanmoins, c’est la source d’énergie qui compte le plus dans la détermination du profil d’émissions des ménages. Par exemple, malgré son climat froid, Montréal affiche le plus faible taux moyen d’émission des ménages de toutes les grandes villes canadiennes, parce que l’hydroélectricité répond à la plupart des besoins énergétiques résidentiels, y compris le chauffage domestique6. En revanche, Edmonton et Calgary affichent le taux moyen d’émission des ménages le plus élevé, ce qui est principalement attribuable aux phénomènes météorologiques extrêmes, à la faible densité démographique et à la production d’électricité à partir du charbon7.
À mesure que le Canada définit et met en œuvre des politiques de réduction des émissions, il faudra absolument diminuer l’écart entre les fardeaux régionaux, car il s’agit d’un élément primordial à la création d’un consensus quant au meilleur moyen d’atteindre nos objectifs nationaux de réduction des émissions.
La réduction des émissions nécessite une tarification du carbone
Maintenant que nous comprenons les défis à relever, la question est de savoir comment le Canada peut atteindre ses objectifs de réduction des émissions, et quelles seront les répercussions économiques qui en découleront.
La théorie économique démontre sans équivoque que l’absence de coûts connexes entraînerait une quantité excessive de carbone – ce qui explique le problème climatique que le monde vit actuellement. La tarification et la réglementation des émissions de carbone sont deux moyens de régler ce problème.
La tarification du carbone réduit les coûts de transition, conformément à la théorie économique, parce qu’elle sert d’incitatif financier qui amène les particuliers et les entreprises à modifier leurs habitudes de consommation d’énergie.
Celle-ci augmente aussi le coût des biens et services, à la fois directement en raison des prix de détail plus élevés, et indirectement en raison de la hausse du coût des intrants. Inversement, ces dépenses accrues réduisent le pouvoir d’achat résidentiel et commercial, et diminuent ainsi la demande à l’échelle de la chaîne d’approvisionnement.
Les taxes sur le carbone imposées par les gouvernements génèrent des revenus qui sont réinjectés dans l’économie
De plus, la tarification du carbone modifie le prix relatif des biens et services : ceux qui sont produits de manière plus propre sont moins chers que ceux qui nécessitent une empreinte carbone plus importante. Par conséquent, ceux qui produisent moins de carbone tirent des avantages, tandis que ceux qui en produisent plus perdent des parts de marché. En l’absence de facteurs d’atténuation, cette substitution aurait de graves incidences. Cependant, les taxes sur le carbone imposées par les gouvernements génèrent des revenus qui sont réinjectés dans l’économie, et ont un effet compensatoire sur les pressions indiquées plus tôt, modérant ainsi les effets de la tarification du carbone sur la croissance économique.
Par exemple, lorsque des taxes sur le carbone sont en vigueur, les conducteurs verront les prix de l’essence augmenter, ce qui pourrait les motiver à conduire moins souvent où à passer à un véhicule électrique. Cela dit, les ménages récupèrent une partie de la taxe sur le carbone qu’ils ont versée, et peuvent la consacrer à l’achat d’autres biens et services. Bien sûr, ils pourraient continuer d’acheter des biens à haute intensité de carbone, mais compte tenu de la taxe sur celui-ci, ils tireront un peu plus de leur argent s’ils se procurent des biens et services à plus faible teneur en carbone, ce qui constitue un incitatif en soi.
Modéliser les conséquences de la tarification du carbone
La tarification du carbone est au cœur du plan canadien de réduction des émissions. Mais de façon générale, le pays n’a pas vraiment eu de conversations productives à propos de la transition énergétique. Les opposants qualifient souvent cette tarification du carbone de menace importante à l’économie et à la prospérité, tandis que ses partisans suggèrent plutôt que la réduction des émissions peut se réaliser sans engager de coûts de conversion vers un avenir à plus faible intensité de carbone, en prétendant notamment que les rabais sur la tarification du carbone compenseront totalement toute incidence pécuniaire sur le consommateur.
La gestion des changements climatiques et la transformation de l’économie sont des démarches extrêmement complexes; aussi, il convient de considérer avec scepticisme des caractérisations aussi tranchées. C’est là que la modélisation économique peut faire la lumière sur de grandes questions, notamment si la voie de la tarification du carbone que prône actuellement le gouvernement fédéral aidera le Canada à atteindre ses objectifs environnementaux, et quelles seront les répercussions sur l’économie, les secteurs et les régions du pays.
Afin de répondre à ces préoccupations, entre autres, nous avons utilisé le modèle d’équilibre général de Deloitte Canada CGE pour examiner la réduction des émissions de carbone, les effets macroéconomiques et les performances des secteurs entre 2019 (année où la tarification fédérale du carbone a été mise en place) et 2030 (où elle doit atteindre le plafond actuellement prévu de 170 $ la tonne). Nous avons analysé différents types d’émissions, y compris celles qui sont liées à la consommation d’intrants basés sur les combustibles fossiles, à l’utilisation des terres et des animaux en agriculture, aux émissions fugitives dans divers secteurs, et à la consommation des ménages et de l’État. Afin de cerner les conséquences de la tarification du carbone, nous avons comparé un scénario reflétant le statu quo (c.-à-d. sans coûts carbone) à un scénario politique comportant une tarification du carbone.
Le gouvernement fédéral a indiqué que les revenus de la tarification du carbone seront transférés aux consommateurs, mais ils devraient aussi être affectés à des investissements verts dans les infrastructures et à la transition des entreprises
Le scénario politique, dont la période de prévision s’étend de 2019 à 2030, est fondé sur un prix de 20 $ la tonne d’équivalent CO2 qui augmente de 10 $ chaque année pour atteindre 50 $ la tonne en 2022 et, par la suite, de 15 $ par an, atteignant au final 170 $ la tonne en 2030. Nous nous sommes concentrés uniquement sur la tarification du carbone comme instrument politique clé, en excluant les autres mesures de réduction des émissions telles que le retrait progressif du charbon et la mise en œuvre de normes relatives à l’énergie propre. À partir de données historiques (c.-à-d. les changements annuels moyens de l’intensité des émissions au Canada), le modèle présume des améliorations de l’efficacité de 1,6 % par appel tout au long de la période visée8.
Ces données révèlent que la tarification du carbone devrait générer des revenus significatifs, soit 63,8 milliards de dollars par année d’ici 2030. Cependant, l’un des éléments critiques, c’est que cet argent sera réinjecté dans l’économie. Pour l’heure, le gouvernement fédéral a indiqué que ces sommes seront transférées aux consommateurs, mais nous croyons qu’elles devraient aussi être affectées à des investissements verts dans les infrastructures et à la transition des entreprises. Dans notre modèle, nous avons présumé qu’environ 55 % des revenus seraient attribués aux ménages, 21 % au gouvernement et 23 % aux investissements privés, ce qui reflète les parts relatives de ces segments au sein de l’économie.
Quantifier les répercussions de la tarification du carbone
Point à retenir : la hausse progressive de la tarification du carbone jusqu’à atteindre 170 $ en 2030 favorisera une réduction importante des émissions, nous rapprochant ainsi de l’engagement pris dans le cadre de l’Accord de Paris.
Globalement, la modélisation indique qu’au Canada, la politique de tarification du carbone utilisée en exemple entraînera une réduction des émissions de 730 mégatonnes d’équivalent CO2 en 2018 à 537 mégatonnes en 2030 (voir la figure 2). Il s’agit d’un recul de 26 % des émissions, ce qui amène le Canada aux trois-quarts de son parcours vers la cible fixée dans l’Accord de Paris. Les réductions les plus importantes sont prévues dans les secteurs suivants : production et transmission d’électricité (58 %); services généraux (43 %); puis extraction minière, exploitation en carrière, extraction de pétrole et de gaz et raffineries (30 %).
On s’attend à une hausse de 20 % des émissions dans le secteur de l’agriculture, de la foresterie, de la pêche et de la chasse en raison des exemptions des politiques de tarification du carbone. Autre évolution notable : selon les prévisions, le secteur de l’électricité affichera une croissance de sa part du PIB, puisque le besoin de cette ressource énergétique augmentera dans un avenir à faible intensité de carbone (voir les figures 3 et 4).
La modélisation indique que les émissions canadiennes diminueront de 26 % d’ici 2030, ce qui amène le pays aux trois quarts de son parcours vers la cible fixée dans l’Accord de Paris
Figure 3. Évolution du PIB par secteur, écart cumulatif par rapport aux données de référence d’ici 2030, pourcentage (%)
Figure 4. Évolution du PIB par secteur, écart cumulatif par rapport à 2018 d’ici 2030, pourcentage (%)
Répercussions économiques
Point à retenir : la mise en œuvre de la tarification du carbone entraîne des coûts de transition, alors que les taux tendanciels de croissance annuelle de l’économie canadienne passent de 1,7 % à 1,6 %.
Un enjeu important de la transition vers la tarification du carbone est d’établir si les coûts dépassent les avantages. Une hausse graduelle des prix du carbone, comme il est indiqué dans les plans actuels du gouvernement fédéral, entraînera un ralentissement de la croissance annuelle du PIB réel de 0,08 à 0,13 point de pourcentage. Cela se traduit par une économie qui croît à un taux de 1,6 % plutôt que selon notre estimation actuelle de 1,7 %, tout en nous rapprochant à seulement trois quarts des objectifs fixés dans l’Accord de Paris. En conséquence, d’ici 2030, le PIB national réel sera inférieur de 1,4 % par rapport à une situation où aucune tarification du carbone n’avait été établie. Au cours de la même période, alors que les prix du carbone passent à 170 $, les coûts globaux des biens et services (mesurés par le déflateur du PIB) devraient augmenter de 0,9 %, ou environ 0,1 % par année.
Résultats pour les ménages
Point à retenir : dans notre scénario de tarification du carbone, le pouvoir d’achat et la consommation des ménages fléchissent légèrement
La hausse directe des prix de l’essence, du gaz naturel et de l’électricité se répercutera sur les consommateurs, incitant les ménages à être plus écoénergétiques et à réduire les émissions de carbone. Même si une partie de la taxe sur le carbone devrait être remise aux ménages sous forme de crédits d’impôt qui compensera une part importante de la perte de leur pouvoir d’achat, une perte se fera néanmoins sentir. De plus, le ralentissement économique mènera à un rythme plus lent de création d’emploi, alors que 88 000 postes de moins seront créés d’ici 2030. Même si ce nombre est important, lorsqu’on le met en contexte, cela représente l’équivalent d’environ quatre mois de création d’emploi aux taux actuels, mais répartis sur une période de près d’une décennie. La combinaison de ces effets donnera lieu à un fléchissement de 1,9 % des dépenses de consommation en 2030, par rapport aux données de référence sans tarification du carbone.
Résultats pour les secteurs
Point à retenir : certains secteurs seront confrontés à de plus grandes difficultés que d’autres, et devront déployer des efforts pour s’adapter à ces pressions.
La hausse des prix aura des conséquences différentes sur chaque segment de l’économie, selon la production et l’intensité des émissions basées sur la consommation. Quelques secteurs connaîtront probablement une baisse de production supérieure à la moyenne (par rapport aux niveaux de référence) en raison de leurs activités à forte teneur en émissions. Par exemple, le secteur de l’extraction minière, de l’exploitation en carrière, de l’extraction de pétrole et de gaz et des raffineries pourrait enregistrer un recul de 9 % du PIB réel d’ici 2030, et le secteur du transport devrait reculer de 4 %. Par contre, le secteur de l’énergie renouvelable, entre autres, est susceptible de connaître une expansion, avec une croissance prévue de 6 % du PIB d’ici 2030, pour peu qu’il soit possible d’utiliser des combustibles à faible teneur en carbone dans le processus de production.
Malgré les prix du carbone qui atteindront 170 $, la plupart des secteurs devraient croître annuellement tout au long de la période de modélisation, même si, comme il a été indiqué plus tôt, cette croissance sera inférieure aux taux de référence (voir la figure 5). Il y a une exception, soit le secteur de l’extraction minière, de l’exploitation en carrière, de l’extraction de pétrole et de gaz et des raffineries, qui devrait afficher une baisse moyenne annuelle de 0,1 % de sa production économique entre 2019 et 2030, par rapport à une croissance de référence annuelle de 0,7 %.
Dans l’ensemble, notre modèle indique que la politique de tarification du carbone mise en place par le gouvernement fédéral modifiera la composition de l’économie canadienne. Ainsi donc, certains secteurs, comme les secteurs minier et du transport, apporteront une moindre contribution, tandis que le secteur des services publics contribuera davantage à l’économie.
Point à retenir : le défi de réduire les émissions diffère d’un bout à l’autre du pays
Tandis que la production d’électricité s’oriente de plus en plus vers les énergies renouvelables, la courbe d’ajustement de certains territoires, notamment l’est du Canada, l’Alberta et la Saskatchewan, devrait être plus abrupte du fait de leur dépendance aux combustibles fossiles. Inversement, au Québec et en Colombie-Britannique, où les ressources hydroélectriques sont abondantes, le chemin pour y arriver devrait être plus facile.
La production industrielle régionale, y compris le type de produit et la concentration, aura également une incidence sur la capacité d’adaptation d’une province à l’autre. Même si notre modèle ne segmente pas les résultats par région, il est possible d’établir des prévisions pour des secteurs individuels. Par exemple, le PIB réel du secteur minier devrait reculer de 16,9 milliards de dollars d’ici 2030. Étant donné que 58 % de l’exploitation minière a lieu en Alberta – et en supposant que cela ne change pas – on peut calculer que le PIB de l’Alberta dans ce seul secteur connaîtra une baisse projetée de 9,8 milliards de dollars. Même si ce chiffre peut sembler banal par rapport à une production de 334 milliards de dollars par la province en 2019, sachez que ce recul ne tient pas compte de l’effet domino sur d’autres secteurs, comme celui des services professionnels, qui dépend des activités du secteur minier. Cela dit, malgré ces répercussions, l’économie de l’Alberta poursuivra sa croissance.
Notre analyse démontre que la tarification du carbone permettra d’effectuer le gros du travail afin de rapprocher l’économie des objectifs fixés dans l’Accord de Paris, mais que d’autres mesures s’imposent pour atteindre ces cibles, et qu’il faudra déployer davantage d’efforts pour réaliser l’objectif encore plus ambitieux du gouvernement fédéral, soit une réduction de 40 à 45 % des émissions. Le défi consiste à savoir comment combler l’écart. Si des prix du carbone plus élevés peuvent être utiles, trouver des moyens de favoriser le financement à grande échelle des technologies pourrait avoir le plus de retombées à long terme, en partie parce que ces technologies peuvent réduire les émissions, tout en créant d’importantes occasions économiques.
Technologies pour livrer la marchandise
Il est difficile de modéliser l’incidence de la tarification du carbone entre 2030 et 2050, étant donné la probabilité que des changements technologiques au cours de cette période viennent modifier les niveaux d’émissions dans l’ensemble des secteurs.
Par conséquent, au moment d’envisager la feuille de route du Canada vers la carboneutralité au-delà de 2030, nous avons mis l’accent sur les solutions technologiques qui peuvent contribuer à combler l’écart d’émissions. Ces innovations représentent un changement transformationnel, et nécessitent beaucoup d’ingéniosité et d’investissement. Cependant, comme nous l’avons indiqué, le gouvernement fédéral devra agir rapidement pour faciliter cet investissement, car le report des mesures n’aura pour effet que d’augmenter les difficultés et les coûts. Une réponse rapide est également susceptible de permettre aux entreprises canadiennes d’exercer leurs activités dans des domaines à faible intensité de carbone où les ressources en place – telles que l’hydrogène et le captage et le stockage du carbone (CSC) – leur permettront de saisir les occasions qui surviennent tandis que le monde entier cherche à réduire les émissions à grande échelle.
Le gouvernement fédéral devra agir rapidement pour faciliter cet investissement
À partir des travaux réalisés par ESMIA Consultants dans le cadre du scénario carboneutre de référence9, nous avons identifié dix technologies clés qui pourraient jouer un rôle déterminant afin d’atteindre le reste des objectifs de réduction des émissions : la figure 7 indique, par secteur, la quantité d’émissions qui devraient être produites en 2030 (chiffres entre parenthèses) une fois que la taxe sur le carbone aura été portée à 170 $, ainsi que les technologies qui pourraient être utilisées pour réduire les émissions dans chaque secteur en vue d’atteindre la carboneutralité d’ici 2050. L’élimination complète des émissions figurant ci-dessous ne sera pas nécessaire grâce à des technologies comme le captage et le stockage du carbone.
La partie qui suit explore les raisons pour lesquelles les dix catégories indiquées à la figure 6 peuvent être importantes pour aider le Canada à atteindre ses objectifs de réduction des GES.
Figure 6. Niveaux d’émissions en 2030* et technologies, par secteur, qui permettront d’atteindre la neutralité carbone en 2050
Secteur
|
Technologies
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Fabrication
(110 mégatonnes / année)
|
- Hydrogène vert
- Petits réacteurs modulaires
- CSC / captage direct dans l’air
|
Ménages
(109 mégatonnes / année)
|
- Véhicules électriques et infrastructure de recharge
- Sources de chauffage électrique pour les bâtiments
- Hydrogène vert
- Petits réacteurs modulaires
- Microréseaux intelligents
- Captage direct dans l‘air
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Extraction et enrichissement
(93 mégatonnes / année)
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- Production de vapeur par contact direct
- Hydrogène vert
- Petits réacteurs modulaires
- CSC/captage direct dans l'air
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Agriculture, foresterie et pêche
(89 mégatonnes / année)
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- Biocarburants liquides et solides
- Captage direct dans l'air
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Transport
(51 mégatonnes / année)
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- Véhicules électriques et infrastructure de de recharge
- Hydrogène vert
- Biocarburants liquides et solides
- Captage direct dans l'air
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Électricité et transmission
(47 mégatonnes / année)
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- Transition vers les énergies renouvelables à des fins de production
- Hydrogène vert
- Petits réacteurs modulaires
- Microréseaux intelligents
- Stockage d'énergie dans des batteries
- CSC / captage direct dans l'air
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Autres services
(37 mégatonnes / année)
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- Sources de chauffage électrique pour les bâtiments
- Microréseaux intelligents
- Captage direct dans l'air
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Construction
(5 mégatonnes / année)
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- Captage direct dans l’air
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*Les chiffres sont arrondis.
1. Véhicules électriques (VE) et infrastructure de recharge
Les VE n’émettent aucun gaz à effet de serre et constituent un choix éprouvé lorsqu’il s’agit de réduire considérablement les émissions de CO2 à l’échelle mondiale. La part de marché actuelle des VE au Canada est d’environ 0,7 %, mais elle affiche une tendance à la hausse : les VE représentaient 3,5 % des immatriculations de véhicules neufs en 2020, par rapport à 2,9 % en 201910. Mais cela fait à peine avancer le Canada vers ses objectifs de réduction des émissions. Afin de favoriser leur adoption, les constructeurs devront sans doute créer des VE plus performantes et moins coûteuses. Les villes et les municipalités devront intégrer davantage l’énergie électrique à leur infrastructure de transport collectif. L’arrivée de recharge sans fil (grâce à la norme de recharge SAE J2954) pourrait propulser le marché vers l’avant en faisant en sorte qu’il est plus pratique de posséder et de conduire un VE. De même, des bornes de recharge publiques plus répandues, notamment dans des centres commerciaux, des hôtels, des stationnements, des stations-service et des immeubles résidentiels, pourraient contribuer grandement à ce que les VE s’imposent comme le choix privilégié par les consommateurs, les entreprises et les municipalités.
En quoi cette option peut être utile
Si les consommateurs, les entreprises et les municipalités ne font pas la transition vers les VE ou des véhicules propulsés par des carburants plus propres, le secteur canadien du transport devrait produire environ 170 mégatonnes par année d’équivalent CO2e d’ici 2050. Mais grâce aux percées dans les technologies de VE, ce secteur pourrait porter ses émissions de CO2 à moins de 20 mégatonnes par année, soit la quantité requise pour que le Canada puisse atteindre son objectif de carboneutralité d’ici 2050.
2. Électricité renouvelable
Le Canada est un chef de file mondial de l’énergie renouvelable. De par sa vaste superficie et sa géographie diversifiée, le pays possède des ressources renouvelables importantes – notamment l’eau, la biomasse, et les énergies éolienne, solaire, géothermique et marémotrice – qui peuvent être utilisées pour produire de l’énergie. L’hydroélectricité constitue notre source d’énergie renouvelable la plus importante, car elle fournit 59,3 % de l’électricité au pays11. En fait, le Canada est le deuxième plus grand producteur d’hydroélectricité au monde. Quant à l’énergie éolienne, elle représente 3,5 % de l’électricité produite, suivie de la biomasse avec 1,4 %12.
En quoi cette option peut être utile
L’énergie électrique est essentielle pour que le Canada atteigne ses objectifs de réduction des émissions. Mais son utilisation pour le transport, le chauffage et la climatisation, et la production industrielle exige une augmentation sans précédent de la capacité de production d’énergie renouvelable, et l’expansion de l’infrastructure connexe. Selon certains spécialistes, le Canada devra tripler la production de cette ressource d’ici 2050. Le défi sera d’en assurer l’abordabilité; sinon, les gouvernements risquent d’être confrontés à une vive réaction des citoyens qui déploient des efforts de décarbonation en optant pour l’énergie électrique, et de compromettre la compétitivité des secteurs qui effectuent la transition vers cette ressource. La modélisation démontre que, pour que le Canada puisse atteindre la neutralité carbone d’ici 2050, sa production d’électricité devra être fortement réorientée vers l’énergie solaire et éolienne, en passant d’environ 30 térawattheures (selon le scénario modélisé) à près de 600 térawattheures2.
3. Production de vapeur par contact direct
Les utilisations écologiques de la production de vapeur par contact direct (PVCD) sont nombreuses. Par exemple, elle peut grandement améliorer la récupération du pétrole (sous forme de bitume); à cette fin, la vapeur générée par les eaux usées et les gaz de combustion chauds ou d’échappement des moteurs à combustion sont injectés dans un réservoir. Ce processus a le potentiel de réduire le besoin en eau douce pour la production d’énergie et, comme la majeure partie du CO2 généré est également capturé et recyclé, de diminuer les émissions de carbone. Entre autres applications, il est actuellement utilisé dans l’exploitation des sables bitumineux conjointement avec le drainage par gravité au moyen de vapeur (DGMV).
En quoi cette option peut être utile
La PVCD peut réduire les émissions de GES produites lors de l’extraction du bitume dans une proportion pouvant atteindre 85 %, tout en réduisant au minimum l’utilisation d’eau douce et en éliminant les processus coûteux de traitement de l’eau13. Cela a pour résultat de réduire le coût, ainsi que les effets sur l’environnement, de l’extraction du bitume. La PVCD n’ayant pas encore été commercialisée à grande échelle, des questions persistent à propos des coûts et de l’efficacité réels. Quoi qu’il en soit, puisque le pétrole et le gaz représentent une large part du PIB du Canada et demeureront nécessaires même à capacité réduite, la PVCD pourrait jouer un rôle essentiel dans la course vers la carboneutralité.
Ce processus a le potentiel de réduire le besoin en eau douce pour la production d’énergie et, comme la majeure partie du CO2 généré est également capturé et recyclé, de diminuer les émissions de carbone
4. Hydrogène bleu ou vert
L’hydrogène est un composant de base dans plusieurs procédés industriels chimiques, comme le raffinage du pétrole et la production de fertilisants, d’ammoniaque et de méthanol; aussi, l’utilisation d’hydrogène propre contribue à réduire les émissions qui en résultent. L’hydrogène peut aussi être un carburant de remplacement pour le transport, notamment dans des véhicules légers et lourds, les autobus de transport collectif et les trains. Parmi les autres applications, citons la production d’électricité et de chaleur, où l’hydrogène peut être utilisé seul ou mélangé avec du gaz naturel pour chauffer des bâtiments résidentiels et commerciaux ou fournir une chaleur de haute qualité pour les procédés industriels.
La combustion d’hydrogène ne génère pas d’émissions de carbone ou de polluants au point d’utilisation. Par contre, la production d’hydrogène par le reformage du gaz naturel et la gazéification du charbon peut être une importante source d’émissions de carbone, c’est-à-dire d’hydrogène gris. De plus, les procédés de compression et de liquéfaction nécessaires au transport et au stockage d’hydrogène sont énergivores; donc, si l’énergie requises pour réaliser ces opérations provient de sources non renouvelables, la chaîne toute entière pourrait nuire à l’indice carbone mondial de l’hydrogène durant son cycle de vie.
La production d’hydrogène par le reformage du gaz naturel et la gazéification du charbon peut être une importante source d’émissions de carbone
En quoi cette option peut être utile
La stratégie du gouvernement fédéral pour l’hydrogène, publiée à la fin de 2020, suggère que cette ressource pourrait satisfaire à 30 % des besoins énergétiques du Canada d’ici 203014. Le ministre des Ressources naturelles, de l’époque avait indiqué que l’utilisation accrue d’hydrogène au Canada pourrait entraîner une réduction des émissions de GES allant jusqu’à 45 mégatonnes par année.
On estime à trois millions de tonnes la quantité d’hydrogène gris produite annuellement par le Canada à partir de gaz naturel sans CSC, ce qui en fait l’un des dix premiers producteurs d’hydrogène dans le monde. Aujourd’hui, le reformage du méthane à la vapeur est le moyen le plus rentable pour produire de l’hydrogène. Cependant, ce procédé génère des émissions de carbone et, par conséquent, doit être jumelé à un système de CSC.
Compte tenu de l’actuelle infrastructure de production et de transport de l’hydrogène dans l’Ouest canadien et des possibilités de mélanger l’hydrogène avec d’autres ressources à des fins de combustion, les occasions de développement de l’hydrogène se multiplient; toutefois, le soutien du gouvernement demeure essentiel. Il serait possible de produire de l’hydrogène vert si des systèmes de CSC étaient prévus dans les plans actuels et futurs. Tel que décrit dans ce document, (voir également le point 10), le CSC a le potentiel d’éliminer non seulement les émissions de carbone générées par la production d’hydrogène, mais aussi de capter d’autres émissions dans l’air, ce qui pourrait s’avérer essentiel pour que le Canada atteigne son objectif de carboneutralité d’ici 2050.
5. Biocarburants liquides
et solides
Les biocarburants peuvent considérablement réduire les émissions de GES en diminuant ou en éliminant le besoin de combustibles fossiles. En général, ils ont une moindre intensité carbonique que les combustibles fossiles tout au long de leur cycle de vie, alors que leur profil de propreté a été amélioré grâce à des avancées en termes de production, de traitement et d’efficacité énergétique. Néanmoins, le Canada est à la traîne de ses concurrents mondiaux en ce qui a trait à l’établissement de la capacité de production et à l’utilisation des biocarburants, et affiche des taux d’adoption sur le marché inférieurs à ceux des États-Unis, de l’UE et d’autres régions du monde. Cela contribue à nos émissions élevées de GES dans le secteur du transport, entre autres.
Les biocarburants sont des biens environnementaux qui ont fait leurs preuves : ils ont permis de réduire les émissions de GES dans le cadre de la réglementation sur les carburants renouvelables et les normes sur les carburants à faible teneur en carbone dans les provinces canadiennes. De ce fait, on s’attend à ce que le besoin de biocarburants liquides à forte densité énergétique augmente dans les décennies à venir à des fins de transport par véhicules légers et lourds. Aussi, le secteur des carburants liquides propres au pays vise à augmenter la production de 3 à 8,5 milliards de litres par année d’ici 203015.
En quoi cette option peut être utile
L’utilisation accrue des biocarburants et d’autres combustibles non fossiles propres de 7 % en 2017 à 10 à 15 % d’ici 2030 réduirait les émissions de GES de 15 millions de tonnes par année. De plus, ceux-ci pourraient remplacer une quantité importante du diesel et de l’essence actuellement utilisés. Moyennant des investissements raisonnables, l’utilisation de biocarburants pourrait passer d’environ 6 % dans la combinaison modélisée de carburants utilisés par le secteur du transport à près de 14 %, ce qui contribuerait à l’atteinte des objectifs de carboneutralité.
6. Petits réacteurs modulaires (PRM)
Bon nombre des collectivités éloignées ou hors réseau du Canada dépendent du carburant diesel pour la production d’électricité – un procédé très polluant et coûteux. Aussi, nous avons le potentiel d’être l’un des marchés intérieurs les plus prometteurs au monde pour les PRM; selon des estimations prudentes, la valeur de ce marché s’élèverait à 5,3 milliards de dollars entre 2025 et 204017. En comparaison, on s’attend à ce que la valeur mondiale des marchés des PRM s’établisse à 150 milliards de dollars au cours de la même période18.
Certaines formes de PRM pourraient être utilisées à court terme, tandis que la plupart deviendront accessibles au cours des 7 à 15 prochaines années. Pour certaines des technologies les plus hautement testées, cet échéancier est davantage lié aux enjeux connexes sur les plans économique, social, réglementaire et de gestion des déchets qu’à la conception des réacteurs en soi. De toute façon, même si le cadre réglementaire du pays et son régime de gestion des déchets sont en bonne posture pour réagir à un changement de paradigme vers les PRM, une certaine modernisation s’imposera pour refléter la réalité associée à l’exploitation de ces plus petits réacteurs.
En quoi cette option peut être utile
Les PRM ont le potentiel de réduire la dépendance au charbon et au diesel, surtout dans les collectivités éloignées, aidant ainsi le Canada à atteindre son objectif de carboneutralité d’ici 2050. Ils pourraient aussi contribuer à favoriser la décarbonation profonde des secteurs, y compris l’exploitation minière verte, et fournir des occasions de nouvelles applications de l’énergie nucléaire, comme l’exploration spatiale. Grâce à leur capacité de produire de l’énergie sur demande, les PRM pourraient également jouer un rôle essentiel dans une intégration plus profonde des sources d’énergie renouvelable variable (p. ex., l’énergie solaire et éolienne) partout au Canada, particulièrement dans les régions qui ont peu de capacité hydroélectrique. Dans l’ensemble, les PRM pourraient répondre à environ 9 % des besoins d’électricité du Canada dans un contexte de carboneutralité.
7. Chauffage électrique pour les bâtiments
Étant donné son climat très variable, le Canada consomme plus d’énergie que plusieurs autres pays industrialisés pour le chauffage et la climatisation des bâtiments. Selon des statistiques qui remontent à 2018, près de 47 % des Canadiens utilisent le gaz naturel pour le chauffage de leur maison, environ 37 % utilisent l’électricité, environ 9 % utilisent le mazout, et le reste d’entre eux utilisent du bois et du propane19. Environ 84 % des émissions résidentielles de GES proviennent du chauffage des locaux et de l’eau, avant tout par la combustion de gaz naturel20. Aussi, la rénovation des bâtiments existants est au cœur de la réduction de la demande énergétique et des émissions connexes, tout comme la transition vers des sources de chaleur électrique.
Les thermopompes, qui transfèrent de l’énergie thermique d’un endroit à l’autre, sont une source particulièrement prometteuse de chauffage électrique. Elles constituent une des rares technologies dont les rendements types sont bien au-delà de 100 % – c’est-à-dire que la quantité d’énergie produite est supérieure à ce qui est nécessaire pour la déplacer. Au Canada, où les températures de l’air en hiver peuvent être inférieures à -30 °C, les thermopompes géothermiques peuvent fonctionner plus efficacement parce qu’elles tirent parti des températures plus chaudes et plus stables du sol plutôt que d’utiliser l’air plus froid. Utilisant le sol comme source d’énergie thermique, ces systèmes peuvent réduire considérablement les coûts de chauffage et de climatisation, et permettent de réaliser des économies d’environ 65 % par rapport aux chaudières électriques21.
La transition vers des sources d’énergie électrique pourrait aussi entraîner une réduction des émissions de CO2 de plus de 40 mégatonnes par année
Outre les sources de chaleur électriques, l’énergie solaire est une solution viable, à faibles émissions, pour le chauffage des maisons.
En quoi cette option peut être utile
Par rapport aux chiffres de 2018, grâce aux systèmes de chauffage électrique, la baisse de la demande énergétique dans les bâtiments du Canada d’ici 2050 pourrait atteindre 35 %22. Ces gains ne nuiraient aucunement aux services énergétiques, car environ 85 % des réductions seraient attribuables aux économies de chauffage et de climatisation. La transition vers des sources d’énergie électrique pourrait aussi entraîner une réduction des émissions de CO2 de plus de 40 mégatonnes par année selon le modèle d’ESMIA à moins de 1 mégatonne par an après avoir atteint l’objectif de carboneutralité de 2050.
8. Microréseaux intelligents
Un microréseau est un petit réseau de sources d’énergie distribuées et souvent renouvelables. Il peut être relié à un réseau électrique centralisé ou fonctionner de façon autonome. Dans les situations telles que les pannes de courant et les graves intempéries, il peut continuer à alimenter en électricité les foyers et les bâtiments qui y sont reliés.
En quoi cette option peut être utile
Les microréseaux sont essentiels à l’atténuation des émissions de GES. Reposant souvent sur des technologies intelligentes, ceux-ci peuvent contribuer à intégrer des sources de production d’énergie renouvelables hautement distribuées au réseau électrique principal du Canada, tout en augmentant la résilience énergétique et l’accessibilité, surtout dans les petites villes et les collectivités éloignées. Plus précisément, les microréseaux peuvent fournir un service vital pour les quelque 300 collectivités éloignées du Canada, dont bon nombre utilisent actuellement des générateurs diesel pour produire de l’électricité. En plus d’être une source d’énergie très polluante, l’alimentation au diesel est coûteuse; en effet, les collectivités éloignées paient souvent jusqu’à dix fois plus cher que celles qui sont reliées au réseau principal. Or, les sociétés d’énergie peuvent souvent mettre des microréseaux en place de façon rapide et abordable au lieu de construire des centrales électriques plus onéreuses.
Les microréseaux peuvent fournir un service vital pour les quelque 300 collectivités éloignées du Canada, dont bon nombre utilisent des générateurs diesel pour produire de l’électricité
9. Stockage dans des batteries
Le stockage dans des batteries permet de capter l’excédent d’énergie renouvelable et de l’injecter dans des réseaux électriques à des fins d’approvisionnement immédiat pour compenser les pics de demande; il permet également d’équilibrer ces réseaux en contrôlant les fluctuations et en gérant la congestion. À la lumière de ces avantages, les exploitants de systèmes électriques et les organismes de réglementation explorent activement les possibilités d’accroître l’intégration de cette technologie au réseau, par exemple en révisant les règles du marché en Ontario et en Alberta puis en mettant en œuvre des projets pilotes au Québec et en Saskatchewan.
En quoi cette option peut être utile
La technologie de stockage dans des batteries est aisément disponible et est sur le point de devenir plus économique. Elle permet de convertir des sources d’énergie renouvelable variable, comme l’énergie solaire et éolienne, en électricité immédiatement accessible. Pleinement exploitée, celle-ci pourrait représenter un apport de plus de 60 térawattheures d’électricité au réseau d’ici 2050 afin d’aider le pays à atteindre son objectif de carboneutralité.
Les exploitants de systèmes électriques et les organismes de réglementation explorent activement les possibilités d’accroître l’intégration de cette technologie au réseau
10. CSC et captage direct dans l’air (CDA)
Le Canada n’a pas tardé à prendre position sur le CSC et figurait parmi les premiers à acquérir une expertise opérationnelle en lien avec cette technologie. Cinq importants projets de captage postcombustion du carbone sont en cours dans l’Ouest canadien : l’usine de la Canadian Natural Resources Limited, la centrale Boundary Dam de SaskPower, le projet Quest de Shell, le projet de Weyburn et le projet de l’Alberta Carbon Trunk Line (ACTL). Au total, environ 5,5 mégatonnes d’émissions de CO2 sont captées annuellement au Canada. Globalement, le gouvernement de l’Alberta s’est engagé à investir 1,24 milliard de dollars jusqu’en 2025 dans l’ACTL et le projet Quest de Shell, ce qui contribuera à réduire les émissions de GES à raison de 2,76 millions de tonnes par an (soit l’équivalent des émissions annuelles produites par 600 000 véhicules)23.
Par ailleurs, les systèmes de CDA, comme celui qui a été mis en place par Carbon Engineering, une entreprise de la côte Ouest, éliminent le CO2 de l’atmosphère, le purifient, puis utilisent uniquement de l’énergie et de l’eau pour produire du gaz CO2 comprimé prêt pour les gazoducs. Parmi les avantages du CDA, citons la réduction de l’empreinte carbone terrestre et aquatique et la capacité de construire des usines à proximité de lieux de stockage ou d’utilisation appropriés, ce qui élimine le besoin de transporter le CO2 sur de grandes distances.
Quelle que soit la méthode de captage utilisée, des options comme la récupération assistée de pétrole et de méthane houiller offrent des possibilités à court terme de stockage du CO2. Des options de stockage à plus long terme, telles que les aquifères salins, font actuellement l’objet d’études.
En tant qu’adopteur précoce du CSC, le Canada a attiré passablement l’attention d’autres pays qui recherchaient des moyens de réduire leurs émissions de GES. Cela a mené à la création du Centre international de connaissances sur le CSC, situé à Regina, une coentreprise du BHP et du gouvernement de la Saskatchewan.
L’un des principaux défis associés à ces technologies est le coût, qui varie beaucoup en fonction de l’application. À court terme, la démonstration à grande échelle de nouvelles technologies comme le CDA nécessitera sans doute un soutien gouvernemental ciblé, notamment sous forme de subventions, de crédits d’impôt et de crédits compensatoires pour l’émission de CO2.
En quoi cette option peut être utile
Le département américain de l’Énergie a évalué la capacité de stockage potentielle de ces technologies à l’échelle des États-Unis et dans certaines régions du Canada, et a déterminé qu’il y avait suffisamment d’espace disponible pour l’équivalent d’environ 600 ans d’émissions de CO2, calculé à partir de la production totale de combustibles fossiles aux États-Unis aux taux actuels. Le CSC s’applique également à un certain nombre d’activités industrielles à fortes émissions de carbone au-delà de l’utilisation du pétrole et du gaz, y compris la production d’énergie et la production de béton, d’acier et de fertilisant.
Les technologies de CSC pourraient capter plus de 150 mégatonnes de CO2 par année au Canada d’ici 2050
Le CSC et le CDA devraient être essentiels non seulement pour la réalisation des objectifs de carboneutralité du Canada, mais aussi pour l’atteinte des cibles mondiales d’ici 2050. Les technologies de CSC pourraient capter plus de 150 mégatonnes de CO2 par an au Canada d’ici 2050, mais nécessiteraient des investissements considérables afin d’être largement mises en œuvre dans des secteurs très polluants. Par ailleurs, une certitude réglementaire serait nécessaire pour pouvoir exploiter et maintenir le potentiel de ces technologies; autrement dit, il serait essentiel d’établir des règles pour régir le CSC, puis d’empêcher qu’elles ne soient renversées par la suite.
Incidences économiques de l’adoption de technologies propres
Compte tenu de ces technologies et de leur potentiel de réduction des émissions, il paraît possible pour le Canada de réaliser les objectifs climatiques qu’il s’est fixés pour 2030 et, par la suite, d’atteindre la carboneutralité en 2050.
Outre la tarification du carbone, le pays devra intégrer l’énergie électronique à son économie et déployer des technologies à faibles émissions dans l’ensemble des secteurs et de la société. Ce ne sera ni facile, ni peu coûteux. Pour assurer une transition fructueuse, les gouvernements et le secteur privé devront faire preuve d’un leadership audacieux et d’une volonté réciproque d’effectuer les investissements nécessaires. Ils devront aussi veiller à ce que ces investissements ne soient pas réaffectés à d’autres segments de l’économie.
Exigences d’investissement
Si les courbes des coûts peuvent changer, il demeure possible d’évaluer certains des investissements supplémentaires qu’il faudra vouer à la décarbonation au-delà du statu quo de la tarification du carbone, comme l’indique la figure 7. Les options présentées ne sont pas exhaustives; elles donnent simplement une idée des investissements dans les infrastructures qui jalonneront probablement la voie vers la neutralité carbone. En sachant que certaines technologies sont en cours de développement et qu’elles n’ont pas encore été pleinement commercialisées, comme le CSC et le CDA, il est difficile d’évaluer les coûts d’infrastructure avec précision.
Figure 7. Estimations des investissements technologiques dans les technologies propres à des fins de carboneutralité
Les investissements annuels requis pour ces quatre volets totalisent 126 milliards de dollars au-delà de ce qui s’imposerait en l’absence de la tarification du carbone. En 2020, les investissements d’affaires non résidentiels au Canada (indexés sur l’inflation) s’élevaient à 197 milliards de dollars. Aussi, la somme supplémentaire de 126 milliards de dollars est considérable. Si les coûts étaient entièrement assumés par le milieu des affaires, il faudrait que les dépenses augmentent d’environ 65 % par rapport aux niveaux de 2020.
Transformation de la consommation d’énergie
La combinaison de la tarification du carbone et des investissements technologiques devrait modifier l’utilisation de l’énergie au Canada de façon notable. On inciterait les ménages à passer à des VE et à chauffer à l’électricité plutôt qu’au gaz naturel. L’industrie serait également encouragée à adopter l’énergie électrique, même s’il est peu probable que les combustibles fossiles soient complètement exclus du bouquet énergétique, puisque le CSC continuerait de permettre leur utilisation (quoique de façon réduite). Dans l’ensemble, et en grande partie grâce à l’efficacité supérieure des VE par rapport aux moteurs à combustion, la consommation énergétique diminuera nettement par rapport à notre modèle (voir les figures 8 et 9).
La part de l’électricité dans la consommation totale d’énergie devrait augmenter, passant de 27 % à 55 % dans un contexte de carboneutralité. À l’inverse, la part du gaz naturel et des produits pétroliers devrait reculer de 60 % à 22 % dans cette même réalité. La proportion d’utilisation d’hydrogène et de bioénergie devrait croître fortement, même si ces ressources représenteront moins de 16 % de la consommation d’énergie au Canada une fois que l’objectif de carboneutralité a été atteint.
Jusqu’à maintenant, il a été principalement question de la transition vers un avenir à faibles émissions de carbone.
Or, il importe de souligner que, au terme de ce parcours, la pression à la baisse exercée sur la croissance par les coûts de conversion s’estompera; par la suite, la prospérité du Canada s’appuiera sur une économie plus diversifiée et à plus faible intensité de carbone.
Le Deloitte Economics Institute a utilisé ses modèles D.climate pour effectuer des simulations de la croissance économique et des émissions de carbone pour de nombreux pays du monde. Le Canada est l’un de ceux ayant fait l’objet de cette analyse.
Cette initiative mondiale fait appel à des hypothèses normalisées qui démontrent ce qui se passera dans les pays au cours des 50 prochaines années, jusqu’en 2070, selon un scénario où les températures du globe augmentent de 3 °C par rapport à un scénario où la réduction des émissions limite la hausse des températures à près de 1,5 °C. Ces scénarios illustrent que l’inaction climatique n’augure pas bien. Un monde où les températures mondiales augmentent de 3 °C est marqué par une croissance mondiale beaucoup plus faible. La modélisation de l’institut suggère que les dommages économiques provoqués par un réchauffement planétaire de 3 °C réduiraient le PIB mondial de 8 % d’ici 2070. Il faut comparer le coût de réduction des émissions à des données de référence appropriées qui tiennent compte du coût de l’inaction.
Cette modélisation démontre que la transition vers de plus faibles émissions de carbone entraîne des coûts. L’effet modérateur qui en résulte sur la croissance économique jusqu’en 2030 concorde avec la modélisation qui a été présentée plus tôt dans ce document (c.-à-d. un scénario fondé sur une politique de tarification du carbone et une période envisagée de 2019 à 2030). Lorsqu’on évalue l’ampleur de la transformation économique et industrielle qui doit se produire pour atteindre la carboneutralité et les avantages associés au fait d’éviter les conséquences des changements climatiques, un coût de transition maximal de 0,9 % du PIB semble gérable. De plus, en prenant des mesures pour limiter le réchauffement à près de 1,5 °C, le Canada contribue à réduire les pires effets du changement climatique et à éviter les dommages qui en découlent.
Selon l’analyse actuelle, les coûts de transition atteignent leur maximum vers 2037 et diminuent par la suite (voir la figure 10). Une incidence économique nette positive se fait sentir à partir de 2060, et les chiffres continuent de grimper par après. Ainsi, la décarbonation rapide crée des coûts d’adaptation structurelle, mais des mesures ambitieuses et précoces entraînent de futures retombées économiques. Dans ce modèle, l’économie canadienne enregistrera une croissance de 30 milliards de dollars d’ici 2070, par rapport à un monde marqué par l’inaction climatique.
Nous nous dirigeons vers un avenir à faibles émissions de carbone. Le choix qui s’offre aux Canadiens n’est pas de savoir si nous y parviendrons, mais comment nous pouvons en récolter les fruits tout en limitant les coûts de transition. Des entreprises de partout dans le monde se font concurrence pour accéder au marché des technologies propres, dont la valeur estimative en 2022 s’élève à plus de 2,5 billions de dollars26. Depuis longtemps, le Canada est reconnu comme un leader mondial en énergie; le moment est venu de redéployer notre vaste capital humain au sein du marché de l’énergie propre, pour apporter non seulement notre contribution à la réduction des émissions mondiales, mais aussi pour tirer parti des occasions d’affaires. Le Canada ne doit absolument pas être laissé pour compte dans la course mondiale vers la carboneutralité s’il veut continuer à jouir d’une économie prospère et conserver sa position de chef de file. Cependant, comme nous l’avons indiqué plus tôt, les gouvernements, les entreprises et les ménages devront tenir compte des coûts associés à la conversion.
Voici les aspects importants du cheminement proposé pour le pays vers un avenir à faibles émissions de carbone :
- L’économie du Canada a entrepris un virage des biens aux services, une tendance qui devrait s’accélérer à mesure que le pays se dirige vers la neutralité carbone. Cette transformation industrielle créera des occasions importantes, mais aussi des bouleversements pour bon nombre d’entreprises et de travailleurs.
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Les besoins de main-d’œuvre changeront, s’alignant sur la modification du profil sectoriel canadien. De nouveaux emplois seront créés, mais les entreprises et les décideurs canadiens devront s’assurer que les travailleurs touchés par les transitions énergétiques bénéficient d’une formation ou d’une amélioration de leurs compétences, et qu’ils se voient offrir de nouveaux emplois.
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Notre nation n’est pas la seule à viser la carboneutralité; d’autres pays devront effectuer des investissements semblables pour éliminer leurs émissions. Aussi, le Canada doit saisir l’occasion de devenir un leader du marché des technologies propres émergentes, telles que le CSC et l’utilisation de l’hydrogène, où il excelle déjà. Tout comme le pays est aujourd’hui un chef de file en termes d’expertise et de services miniers à l’échelle du globe, il peut devenir un leader mondial en exportation de savoir-faire, de technologies et de services liés à la réduction des émissions.
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Comme la demande en électricité augmentera considérablement, il sera essentiel de mettre en place des solutions rentables, particulièrement parce que les citoyens canadiens se sont déjà insurgés contre les hausses de prix de l’électricité. Il faudra aussi relever les défis associés au syndrome « pas dans ma cour » pour créer l’infrastructure nécessaire à la production et à la transmission d’énergie.
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Des milliards de dollars devront être consacrés aux investissements en technologie pour atteindre la neutralité carbone. Les entreprises, les ménages et le secteur public auront tous un rôle à jouer pour faciliter la transition vers une économie durable à faibles émissions de carbone; de leur côté, les décideurs devront déterminer comment encourager ces migrations. Les Canadiens peuvent s’attendre à une variété de mécanismes de marché, comme la tarification du carbone, jumelés à un soutien direct destiné à favoriser l’adoption de ces nouvelles technologies.
-
Il est possible de trouver des solutions aux répercussions économiques négatives, mais celles-ci ne seront pas réparties de manière uniforme dans l’ensemble des secteurs et des régions. Aussi, il faudra mettre en place des politiques efficaces pour gérer les disparités des résultats. La mondialisation a démontré que les politiques économiques qui ont une incidence bénéfique nette peuvent créer de la croissance et de la richesse, mais peuvent aussi exacerber les inégalités et susciter le mécontentement au sein de la population.
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Une voie fructueuse vers un avenir à faibles émissions de carbone devrait s’inscrire dans la réconciliation avec les peuples autochtones du Canada.
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Toutes ces démarches nécessiteront une collaboration et une coopération importantes entre les secteurs public et privé, ainsi qu’entre tous les paliers de gouvernement.
Le régime faible en carbone du Canada sera un défi de taille; mais ce qu’il faut garder à l’esprit, c’est que le cheminement vers la carboneutralité présente une occasion de stimuler une croissance économique inclusive et durable qui, au bout du compte, viendra rehausser le niveau de vie de l’ensemble des Canadiens.
Centre d’action pour le climat
Henry Stoch
Leader, Développement durable et changements climatiques au Canada
hstoch@deloitte.ca
Sean Delsnider
Leader, Centre d’action pour le climat
sdelsnider@deloitte.ca
Alicia Macdonald
Eitan Levitt
Dmitry Lysenko
Kira Martin-Chan
Maelle Boulais-Preseault
Dima Zyhmantovich
Cedar Cove
Usha Sthankiya
Bevin Arnason
Jurgen Beier
Nathan Steeghs
Craig Walter
Dr Mario Iacobacci
À propos de Deloitte
Deloitte offre des services dans les domaines de l’audit et de la certification, de la consultation, des conseils financiers, des conseils en gestion des risques, de la fiscalité et d’autres services connexes à de nombreuses sociétés ouvertes et fermées dans différents secteurs. Deloitte sert quatre entreprises sur cinq du palmarès Fortune Global 500MD par l’intermédiaire de son réseau mondial de cabinets membres dans plus de 150 pays et territoires, qui offre les compétences de renommée mondiale, le savoir et les services dont les clients ont besoin pour surmonter les défis d’entreprise les plus complexes. Deloitte S.E.N.C.R.L./s.r.l., société à responsabilité limitée constituée en vertu des lois de l’Ontario, est le cabinet membre canadien de Deloitte Touche Tohmatsu Limited. Deloitte désigne une ou plusieurs entités parmi Deloitte Touche Tohmatsu Limited, société fermée à responsabilité limitée par garanties du Royaume-Uni, ainsi que son réseau de cabinets membres dont chacun constitue une entité juridique distincte et indépendante. Pour une description détaillée de la structure juridique de Deloitte Touche Tohmatsu Limited et de ses sociétés membres, voir www.deloitte.com/ca/apropos.
Notre raison d’être mondiale est d’avoir une influence marquante. Chez Deloitte Canada, cela se traduit par la création d’un avenir meilleur en accélérant et en élargissant l’accès au savoir. Nous croyons que nous pouvons concrétiser cette raison d’être en incarnant nos valeurs communes qui sont d’ouvrir la voie, de servir avec intégrité, de prendre soin les uns des autres, de favoriser l’inclusion et de collaborer pour avoir une influence mesurable.
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- « Projections des émissions de gaz à effet de serre et de polluants atmosphériques au Canada 2020 », page 7, Environnement et changement climatique Canada.
- La modélisation de résultats pour une variété de scénarios carboneutres a été acquise par Deloitte auprès d’ESMIA Consultants pour guider notre identification des technologies les plus prometteuses et des réductions d’émissions qui en découleront.
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