La théorie économique démontre sans équivoque que l’absence de coûts connexes entraînerait une quantité excessive de carbone – ce qui explique le problème climatique que le monde vit actuellement. La tarification et la réglementation des émissions de carbone sont deux moyens de régler ce problème.
La tarification du carbone réduit les coûts de transition, conformément à la théorie économique, parce qu’elle sert d’incitatif financier qui amène les particuliers et les entreprises à modifier leurs habitudes de consommation d’énergie.
Celle-ci augmente aussi le coût des biens et services, à la fois directement en raison des prix de détail plus élevés, et indirectement en raison de la hausse du coût des intrants. Inversement, ces dépenses accrues réduisent le pouvoir d’achat résidentiel et commercial, et diminuent ainsi la demande à l’échelle de la chaîne d’approvisionnement.
Les taxes sur le carbone imposées par les gouvernements génèrent des revenus qui sont réinjectés dans l’économie
De plus, la tarification du carbone modifie le prix relatif des biens et services : ceux qui sont produits de manière plus propre sont moins chers que ceux qui nécessitent une empreinte carbone plus importante. Par conséquent, ceux qui produisent moins de carbone tirent des avantages, tandis que ceux qui en produisent plus perdent des parts de marché. En l’absence de facteurs d’atténuation, cette substitution aurait de graves incidences. Cependant, les taxes sur le carbone imposées par les gouvernements génèrent des revenus qui sont réinjectés dans l’économie, et ont un effet compensatoire sur les pressions indiquées plus tôt, modérant ainsi les effets de la tarification du carbone sur la croissance économique.
Par exemple, lorsque des taxes sur le carbone sont en vigueur, les conducteurs verront les prix de l’essence augmenter, ce qui pourrait les motiver à conduire moins souvent où à passer à un véhicule électrique. Cela dit, les ménages récupèrent une partie de la taxe sur le carbone qu’ils ont versée, et peuvent la consacrer à l’achat d’autres biens et services. Bien sûr, ils pourraient continuer d’acheter des biens à haute intensité de carbone, mais compte tenu de la taxe sur celui-ci, ils tireront un peu plus de leur argent s’ils se procurent des biens et services à plus faible teneur en carbone, ce qui constitue un incitatif en soi.
La tarification du carbone est au cœur du plan canadien de réduction des émissions. Mais de façon générale, le pays n’a pas vraiment eu de conversations productives à propos de la transition énergétique. Les opposants qualifient souvent cette tarification du carbone de menace importante à l’économie et à la prospérité, tandis que ses partisans suggèrent plutôt que la réduction des émissions peut se réaliser sans engager de coûts de conversion vers un avenir à plus faible intensité de carbone, en prétendant notamment que les rabais sur la tarification du carbone compenseront totalement toute incidence pécuniaire sur le consommateur.
La gestion des changements climatiques et la transformation de l’économie sont des démarches extrêmement complexes; aussi, il convient de considérer avec scepticisme des caractérisations aussi tranchées. C’est là que la modélisation économique peut faire la lumière sur de grandes questions, notamment si la voie de la tarification du carbone que prône actuellement le gouvernement fédéral aidera le Canada à atteindre ses objectifs environnementaux, et quelles seront les répercussions sur l’économie, les secteurs et les régions du pays.
Afin de répondre à ces préoccupations, entre autres, nous avons utilisé le modèle d’équilibre général de Deloitte Canada CGE pour examiner la réduction des émissions de carbone, les effets macroéconomiques et les performances des secteurs entre 2019 (année où la tarification fédérale du carbone a été mise en place) et 2030 (où elle doit atteindre le plafond actuellement prévu de 170 $ la tonne). Nous avons analysé différents types d’émissions, y compris celles qui sont liées à la consommation d’intrants basés sur les combustibles fossiles, à l’utilisation des terres et des animaux en agriculture, aux émissions fugitives dans divers secteurs, et à la consommation des ménages et de l’État. Afin de cerner les conséquences de la tarification du carbone, nous avons comparé un scénario reflétant le statu quo (c.-à-d. sans coûts carbone) à un scénario politique comportant une tarification du carbone.
Le gouvernement fédéral a indiqué que les revenus de la tarification du carbone seront transférés aux consommateurs, mais ils devraient aussi être affectés à des investissements verts dans les infrastructures et à la transition des entreprises
Le scénario politique, dont la période de prévision s’étend de 2019 à 2030, est fondé sur un prix de 20 $ la tonne d’équivalent CO2 qui augmente de 10 $ chaque année pour atteindre 50 $ la tonne en 2022 et, par la suite, de 15 $ par an, atteignant au final 170 $ la tonne en 2030. Nous nous sommes concentrés uniquement sur la tarification du carbone comme instrument politique clé, en excluant les autres mesures de réduction des émissions telles que le retrait progressif du charbon et la mise en œuvre de normes relatives à l’énergie propre. À partir de données historiques (c.-à-d. les changements annuels moyens de l’intensité des émissions au Canada), le modèle présume des améliorations de l’efficacité de 1,6 % par appel tout au long de la période visée8.
Ces données révèlent que la tarification du carbone devrait générer des revenus significatifs, soit 63,8 milliards de dollars par année d’ici 2030. Cependant, l’un des éléments critiques, c’est que cet argent sera réinjecté dans l’économie. Pour l’heure, le gouvernement fédéral a indiqué que ces sommes seront transférées aux consommateurs, mais nous croyons qu’elles devraient aussi être affectées à des investissements verts dans les infrastructures et à la transition des entreprises. Dans notre modèle, nous avons présumé qu’environ 55 % des revenus seraient attribués aux ménages, 21 % au gouvernement et 23 % aux investissements privés, ce qui reflète les parts relatives de ces segments au sein de l’économie.
Point à retenir : la hausse progressive de la tarification du carbone jusqu’à atteindre 170 $ en 2030 favorisera une réduction importante des émissions, nous rapprochant ainsi de l’engagement pris dans le cadre de l’Accord de Paris.
Globalement, la modélisation indique qu’au Canada, la politique de tarification du carbone utilisée en exemple entraînera une réduction des émissions de 730 mégatonnes d’équivalent CO2 en 2018 à 537 mégatonnes en 2030 (voir la figure 2). Il s’agit d’un recul de 26 % des émissions, ce qui amène le Canada aux trois-quarts de son parcours vers la cible fixée dans l’Accord de Paris. Les réductions les plus importantes sont prévues dans les secteurs suivants : production et transmission d’électricité (58 %); services généraux (43 %); puis extraction minière, exploitation en carrière, extraction de pétrole et de gaz et raffineries (30 %).
On s’attend à une hausse de 20 % des émissions dans le secteur de l’agriculture, de la foresterie, de la pêche et de la chasse en raison des exemptions des politiques de tarification du carbone. Autre évolution notable : selon les prévisions, le secteur de l’électricité affichera une croissance de sa part du PIB, puisque le besoin de cette ressource énergétique augmentera dans un avenir à faible intensité de carbone (voir les figures 3 et 4).
La modélisation indique que les émissions canadiennes diminueront de 26 % d’ici 2030, ce qui amène le pays aux trois quarts de son parcours vers la cible fixée dans l’Accord de Paris
Figure 3. Évolution du PIB par secteur, écart cumulatif par rapport aux données de référence d’ici 2030, pourcentage (%)
Figure 4. Évolution du PIB par secteur, écart cumulatif par rapport à 2018 d’ici 2030, pourcentage (%)
Point à retenir : la mise en œuvre de la tarification du carbone entraîne des coûts de transition, alors que les taux tendanciels de croissance annuelle de l’économie canadienne passent de 1,7 % à 1,6 %.
Un enjeu important de la transition vers la tarification du carbone est d’établir si les coûts dépassent les avantages. Une hausse graduelle des prix du carbone, comme il est indiqué dans les plans actuels du gouvernement fédéral, entraînera un ralentissement de la croissance annuelle du PIB réel de 0,08 à 0,13 point de pourcentage. Cela se traduit par une économie qui croît à un taux de 1,6 % plutôt que selon notre estimation actuelle de 1,7 %, tout en nous rapprochant à seulement trois quarts des objectifs fixés dans l’Accord de Paris. En conséquence, d’ici 2030, le PIB national réel sera inférieur de 1,4 % par rapport à une situation où aucune tarification du carbone n’avait été établie. Au cours de la même période, alors que les prix du carbone passent à 170 $, les coûts globaux des biens et services (mesurés par le déflateur du PIB) devraient augmenter de 0,9 %, ou environ 0,1 % par année.
Point à retenir : dans notre scénario de tarification du carbone, le pouvoir d’achat et la consommation des ménages fléchissent légèrement
La hausse directe des prix de l’essence, du gaz naturel et de l’électricité se répercutera sur les consommateurs, incitant les ménages à être plus écoénergétiques et à réduire les émissions de carbone. Même si une partie de la taxe sur le carbone devrait être remise aux ménages sous forme de crédits d’impôt qui compensera une part importante de la perte de leur pouvoir d’achat, une perte se fera néanmoins sentir. De plus, le ralentissement économique mènera à un rythme plus lent de création d’emploi, alors que 88 000 postes de moins seront créés d’ici 2030. Même si ce nombre est important, lorsqu’on le met en contexte, cela représente l’équivalent d’environ quatre mois de création d’emploi aux taux actuels, mais répartis sur une période de près d’une décennie. La combinaison de ces effets donnera lieu à un fléchissement de 1,9 % des dépenses de consommation en 2030, par rapport aux données de référence sans tarification du carbone.
Point à retenir : certains secteurs seront confrontés à de plus grandes difficultés que d’autres, et devront déployer des efforts pour s’adapter à ces pressions.
La hausse des prix aura des conséquences différentes sur chaque segment de l’économie, selon la production et l’intensité des émissions basées sur la consommation. Quelques secteurs connaîtront probablement une baisse de production supérieure à la moyenne (par rapport aux niveaux de référence) en raison de leurs activités à forte teneur en émissions. Par exemple, le secteur de l’extraction minière, de l’exploitation en carrière, de l’extraction de pétrole et de gaz et des raffineries pourrait enregistrer un recul de 9 % du PIB réel d’ici 2030, et le secteur du transport devrait reculer de 4 %. Par contre, le secteur de l’énergie renouvelable, entre autres, est susceptible de connaître une expansion, avec une croissance prévue de 6 % du PIB d’ici 2030, pour peu qu’il soit possible d’utiliser des combustibles à faible teneur en carbone dans le processus de production.
Malgré les prix du carbone qui atteindront 170 $, la plupart des secteurs devraient croître annuellement tout au long de la période de modélisation, même si, comme il a été indiqué plus tôt, cette croissance sera inférieure aux taux de référence (voir la figure 5). Il y a une exception, soit le secteur de l’extraction minière, de l’exploitation en carrière, de l’extraction de pétrole et de gaz et des raffineries, qui devrait afficher une baisse moyenne annuelle de 0,1 % de sa production économique entre 2019 et 2030, par rapport à une croissance de référence annuelle de 0,7 %.
Dans l’ensemble, notre modèle indique que la politique de tarification du carbone mise en place par le gouvernement fédéral modifiera la composition de l’économie canadienne. Ainsi donc, certains secteurs, comme les secteurs minier et du transport, apporteront une moindre contribution, tandis que le secteur des services publics contribuera davantage à l’économie.
Point à retenir : le défi de réduire les émissions diffère d’un bout à l’autre du pays
Tandis que la production d’électricité s’oriente de plus en plus vers les énergies renouvelables, la courbe d’ajustement de certains territoires, notamment l’est du Canada, l’Alberta et la Saskatchewan, devrait être plus abrupte du fait de leur dépendance aux combustibles fossiles. Inversement, au Québec et en Colombie-Britannique, où les ressources hydroélectriques sont abondantes, le chemin pour y arriver devrait être plus facile.
La production industrielle régionale, y compris le type de produit et la concentration, aura également une incidence sur la capacité d’adaptation d’une province à l’autre. Même si notre modèle ne segmente pas les résultats par région, il est possible d’établir des prévisions pour des secteurs individuels. Par exemple, le PIB réel du secteur minier devrait reculer de 16,9 milliards de dollars d’ici 2030. Étant donné que 58 % de l’exploitation minière a lieu en Alberta – et en supposant que cela ne change pas – on peut calculer que le PIB de l’Alberta dans ce seul secteur connaîtra une baisse projetée de 9,8 milliards de dollars. Même si ce chiffre peut sembler banal par rapport à une production de 334 milliards de dollars par la province en 2019, sachez que ce recul ne tient pas compte de l’effet domino sur d’autres secteurs, comme celui des services professionnels, qui dépend des activités du secteur minier. Cela dit, malgré ces répercussions, l’économie de l’Alberta poursuivra sa croissance.
Notre analyse démontre que la tarification du carbone permettra d’effectuer le gros du travail afin de rapprocher l’économie des objectifs fixés dans l’Accord de Paris, mais que d’autres mesures s’imposent pour atteindre ces cibles, et qu’il faudra déployer davantage d’efforts pour réaliser l’objectif encore plus ambitieux du gouvernement fédéral, soit une réduction de 40 à 45 % des émissions. Le défi consiste à savoir comment combler l’écart. Si des prix du carbone plus élevés peuvent être utiles, trouver des moyens de favoriser le financement à grande échelle des technologies pourrait avoir le plus de retombées à long terme, en partie parce que ces technologies peuvent réduire les émissions, tout en créant d’importantes occasions économiques.